A la croisée...

Les poèmes réunis ici sont de la plume de Murielle Szac, écrivaine, que je remercie chaleureusement. Ils sont directement et librement inspirés de chacune des œuvres.
Reliquaires et poèmes se questionnent et se répondent intimement.

Je cite ci-dessous Murielle, qui avait écrit le texte de présentation de l'exposition qui avait eu lieu en janvier 2006 à la galerie L'entresol.


                          (poèmes présentés ici avec l'aimable autorisation de Murielle Szac)

Poèmes et reliquaires

Parfois, au détour d’un visage qui s’offre à nous, d’un chemin emprunté pour la première fois, ou d’un paysage dévoilé, une étrange impression se faufile : n’ai-je pas déjà croisé ce regard, parcouru ce sentier, observé la beauté de ce lieu ? Etait-ce en rêve, était-ce ailleurs ? Tout est nouveau et pourtant je reconnais tout. Comme l’écho d’une émotion intérieure, dont j’ignore les contours mais pas la vibration.

Ce fut ainsi, lorsque je rencontrai pour la première fois les œuvres de Frédéric Manach. J’entrai dans un univers familier, qui me parlait sans retenue, et dont les entrelacs dessinaient de multiples correspondances souterraines avec mon âme. J’avais sous les yeux le travail unique d’un autre chercheur d’ombres, un traqueur de mémoire, qui avait trouvé comment restituer les fantômes.

Les reliquaires de Frédéric exhument la part cachée de nous-même, celle que nous réservons à la pourriture. Ils nous sauvent de la décomposition. Car sous la terre germent nos racines. Et sous la chair surgit l’os, mis à nu dans sa beauté et sa pureté originelle. Ecorce, peau, pierre, mousse, terre, bois mort, os, dans lesquels la vie réinsufflée donne sens à l’espoir. Nous sommes tous porteurs de reliquaires.

Savoir d'où nous venons, pour décider qui nous serons.



                                               Murielle Szac

Les poèmes

Suivre un fil puis un autre
le perdre le retrouver
sans jamais se perdre soi-même
revenir sur ses pas
chercher encore encore
la ligne droite n’existe pas
se tromper heurter le mur
chuter
se relever repartir
toujours avancer
muraille de bronze et de sang
écorcher sa peau griffer ses mains à la dureté
de la pierre
tâter tâtonner errer
émerger du souterrain
au labyrinthe de sa lumière
 

§


Derrière les barbelés il a bâti un petit nid douillet pour que reposent reposent enfin
mes anges déchus
 

§


Son œil
unique grain de lune
arraché à la tourbe de l’ailleurs
du caniveau
déchiquète le voile de notre oubli

§


« Pattes d’oiseaux gelées sur la vitre du temps »

§



Il est des fontaines
dorées ou desséchées
fontaines de feu ou de lave éteinte
couvant
qui n’attendent que le sang du raisin
et le souffle vibrant de la terre
pour rejaillir vers demain

§



Ils sont les os de la terre
ceux de notre mère

Ils sont les hommes de pierre
gardiens de la lumière

§



Je n’aime ni l’or ni la pourpre
ni les larmes
mais je veux la prière aux agonisants
sur cette tache de sang
et ce bouquet de flammes

§



Becs et ongles elles grattent
elles grattent notre sommeil
comme un essaim d’abeilles
elles piquent et lardent
elles veillent et nous réveillent
au milieu de nos larmes

On les ensable, on les enterre
on les enfouit on les maudit
on les oublie
on les bannit

Elles resurgissent
de nos entrailles
nous les crachons
les vomissons
les revoilà
elles nous fixent de leurs orbites vides
elles barricadent les trous de nos éponges à mémoires

Becs et ongles, elles grattent
notre désarroi
elles nous fusillent du doigt
en pleine face gifle du soleil

§



Chevelure enchevêtrée
salée de pierres rousses
barbe hérissée de semences séchées
pieds et mains nus
peau et cœur tendus
sous l’écorce du diamant
sous la fureur des éléments
l’homme a aimé sans jamais
s’arrêter
d’aimer

  §



Cathédrale de son cri
tu n’en finis pas de prier
la tendre et inflexible
qui
à ses frères offrit un nid
et déchira en lambeaux
ce qu’elle aimait par-dessus tout
la vie

A la vie elle offrit son cri
de démente
le cri de la sublime mendiante

  §



Est-il le même, est-il le double ?
Le reflet au miroir brisé
ou l’éclat irisé
d’une rivière trop longtemps souterraine

Est-il ce frère, est-il ce faux ?
Joie de l’unique peur du jumeau
qui lentement se déchaîne et se ressoude
en puzzle de métal et de sang

Est-il Philémon, est-il Baucis ?
Corps mêlés, souffles enlacés
dans l’interstice
s’enroule l’indissoluble lichen
de l’amour fou

§



Rouages

Et le rire du temps grince à nos oreilles
il brinqueballe fourrage nos entrailles
crécelle hoquetante et stridente
pressoir du vide écorcheur du rien
saigneur du blanc.
il nous essouffle nous essore.
il nous tient.

Soudain
une goutte de lenteur s’infiltre

Le temps est mauvais perdant
son rire de dément son rire aboyeur
bouscule cette douceur
il veut l’anéantir la détruire

Trop tard
le temps est petit joueur
C’est le bonheur qu’a eu sa peau

§

 

Les mains de Prométhée


Du ventre du monde a surgi la nuit
puis la vie
l’enclos du mystère cherche un abri
blotti

Au creux de ses mains l’argile desséchée
cette terre brûlée dure et effritée
stérilisée
s’est mise à parler
A-t-il pleuré pour nous créer ?
L’eau a coulé
la terre noire a palpité
Ô je n’oublierai jamais la douceur de ses paumes
lorsqu’il nous a modelés
ni la caresse de ses longs cheveux lorsqu’il nous a relevés
debout a-t-il murmuré
je sens encore ses deux doigts qui délicatement
résolument
ont tourné notre tête vers le ciel

  §

 

Sous l’humus et sous la mousse
poussent les chevelures de fées
on entend les trolls trottiner
la forêt
berceau des contes les plus secrets
repousse dans le lointain
l’immaculé glacé
carreaux de givres et cœurs gelés
à jamais ensevelis
sous la luxuriante sève des légendes dorées
on voit les elfes s’envoler
et le loup au coin du bois
sourit

§

 

Lavée par l’eau du ciel
la pierre est lisse dressée comme une offrande
arêtes de schistes épines tendues tordues


Quand le minéral nu et l’os pointu offrent un absolu bouquet de pureté

  §



Derrière la porte en bois du wagon
l’ancêtre ne nous voit pas
c’est un enfant peut-être
ou bien déjà un roi
la paille pourrie lui écorche les doigts
quand sa salive séchée craquelle ses lèvres
c’est tout son être qui a peur et froid
le roulis lui mord le cœur
et son cri noir se fige dans la nuit
roulis roulis roulis
dégueulis sur son étoile endolorie

Pas d’arbre généalogique fier et rutilant
juste un trou béant
où grimace le visage rongé des sacrifiés

Il nous regarde et ne nous voit pas
l’ancêtre
derrière la porte en bois du wagon

§



Je connais une histoire à nulle autre pareille
une histoire semée il y a longtemps
graine d’amour et de vent
une histoire enfouie au plus profond du plus profond de la nuit
juste blottie
dans son écrin de racines et de mots-joyaux

Il a suffi d’une petite pluie
trois fois rien je vous le dis
pour que l’histoire endormie
sorte de son lit
et la voilà frissonnante sous la caresse de l’aube
vif argent
étonnée de se découvrir si belle
car pendant ce trop long sommeil
mon histoire
vous n’allez pas me croire
avait laissé pousser ses ailes
en passerelle
et depuis ici ou ailleurs
elle raconte le bonheur vrai

Il était une fois un homme en marche
marcheur venu d’hier
marchant vers demain

§



Sur le mont un arbre t’attend
pas de fruit ni de feuille
sur cet arbre en deuil
juste un tronc noueux
un tronc pour se fondre
quand la terre ne demande qu’à se fendre
et que de la faille écartelée jaillit ta forêt
c’est elle que tu attendais
te voilà qui renaît
écorce réduite en cendres
armure éclatée
et l’on voit enfin
ton cœur battre sous la peau
             


Murielle Szac